J'AVAIS POURTANT DES RÊVES, MAMAN
J'AVAIS POURTANT DES RÊVES, MAMAN AUTOUR DES ATELIERS
Je ne suis ni kiné, ni gériatre, ni accompagnant, ni rien de ce genre. Simplement un acrobate qui se laisse guider par ses convictions, ses sensations. Le contraste entre les possibles du corps d'un acrobate et ceux du corps d'une vieille dame est au cœur du projet, mais reste extrêmement déroutant. J'y vais avec une infinie précaution.
C'est que leurs corps sont tellement différents ! Autant un corps d'enfant, d'ado, se développe, apprend, autant, de l'autre côté, le corps subit une régression, une perte progressive de ses moyens, de ses possibilités.
Que devient un atelier de portés acrobatiques lorsque tourner la tête est difficile, lever le bras douloureux, plier les genoux impossible ? Mais que malgré tout, ces dames sont volontaires, voire enthousiastes, prêtes à essayer, une fois en confiance ? La plupart d'entre elles ont une peur terrible de la chute, beaucoup l'ont déjà vécue. Elles savent qu'une fois au sol, elles ne sauront pas se relever seules. Cette crainte s'incorpore insidieusement, et petit à petit, elles n'osent plus. Ne plus courir, ne plus sauter, ne plus se pencher. Et à force de ne plus faire, évidemment, le corps désapprend. Le muscle fond, l'articulation rouille, l'image même du geste se délite.
C'est là, je crois, que je trouve le plus de sens à ces ateliers : réouvrir les possibles de chaque corps. Oser à nouveau, et prendre plaisir à oser. Tenter de se relâcher (les personnes âgées ont énormément de mal à abandonner leur tonicité). Se toucher, se masser, se tenir à quelqu'un pour tenir sur un pied, guider, se laisser guider les yeux fermés, se pencher, esquisser quelques mouvements, quasi de danse. S'appuyer le plus possible sur l'autre, le partenaire, l'amie, la voisine, pour retrouver le fil de cette confiance en soi qui n'est pas toujours si loin que ça…
Ce qui est magnifique chez elles, c'est que tout est petit et énorme à la fois. Tout se voit, la réticence du corps, la lutte de la tête qui veut faire, qui veut bien essayer, mais le corps qui s'arc-boute derrière des années, des décennies passées à ne plus faire… L'obstacle peut sembler dérisoire, mais il est énorme parfois, et les victoires en sont magnifiées.
Ce qui me passionne aussi, c'est de sentir que ces évènements physiques ne sont rendus possibles que parce que la rencontre se fait, petit à petit, que les liens se nouent. En quelques jours on apprend à se connaître, on se dit des choses de la vie, on raconte, on devient plus intime. J'en suis persuadé, sans l'avènement de ces relations, de ce rapprochement réel de l'autre, peu de choses sont possibles. Je fais extrêmement attention à elles toutes, et elles me le rendent bien. Je suis touché par ces attentions discrètes qu'elles m'accordent au fil des heures passées ensemble. L'une d'entre elles est allé me chercher des mots croisés un matin et me les a offert. Pour que « je travaille aussi ma tête » !