Cent habitants (en habits de travail), une chorégraphe (Stéphanie Aubin, directrice du Manège), un photographe (Arnaud Baumann) et deux danseurs assistants. Deux mois de travail, des milliers de prises de vue, pour au final garder trois cents clichés sur bâche, agrafés sur les palissades qui entourent le chantier des Halles Boulingrin : voilà le jeu de société auquel s’est livrée la ville de Reims depuis l’hiver dernier. Car si « ville » signifie le rassemblement et le dialogue des personnes qui habitent sur un territoire, il s’agit bien d’un projet à la fois artistique et urbain, où les différentes composantes d’une société s’affichent dans l’espace public.
Le principe était simple : cent Rémois, recrutés parmi les habitués du Manège, rencontrés par hasard dans la rue et choisis pour leur silhouette, ou avertis par annonce, ont été conviés dans un couloir blanc et étroit à prendre la posture de la personne qui les avait précédé, en décalant légèrement la pose. A priori, cela semble simple, mais on s’aperçoit, en regardant les trois cents clichés côte à côte qu’un véritable travail chorégraphique a ici été mis en oeuvre. Un travail de titan, car les habitants n’étaient évidemment pas des professionnels du mouvement et il fallait sans cesse garder en tête le mouvement général qui allait résulter de cette longue vague ondulante.
Au final, on s’amuse à reconnaître les « costumes » portés dans le cadre du travail : les infirmiers, le soldat, le curé, l’apiculteur…, aux côtés de Monsieur et Madame tout le monde, et leurs enfants, comme autant de composantes fondant le vivre ensemble. Le titre, « Jeu de société », porte en lui-même le côté ludique qui a prévalu, pour les participants, au cours de cette expérience d’art contemporain, à la lisière de la chorégraphie et de la photo, et qui prévaut encore lorsqu’en regarde le résultat. Carton plein à tous les étages donc, pour cette proposition décalée dont le succès se mesure pour l’instant (notamment) au nombre de bâches arrachées la nuit. Elles reparaîtront sûrement, ici ou là, car le public de la rue ne se trompe pas : elles constituent de véritables œuvres d’art signées Aubin-Baumann et les Rémois ! Jusqu’au 20 novembre, en accès libre, sur les palissades autour du chantier des Halles Boulingrin.

Floriane  Gaber - fluctuat.net / 12 octobre 2012
 
Jeu de société ne dure que deux minutes et se déroule dans un couloir étroit. Jeu de société n'en est pas moins l'une des chorégraphies les plus réjouissantes - et intéressantes - à voir par les temps qui courent. On la doit à la chorégraphe Stéphanie Aubin et au photographe Arnaud Baumann. Tous deux ont invité cent habitants de Reims à se succéder devant l'objectif, chacun reprenant et développant la pose de celui qui l'a précédé. D'où une méta-chorégraphie, petit miracle de montage rythmique, à découvrir à satiété sur DVD, qui donne énormément à songer sur les puissances chorégraphiques qui animent une société. Pour ne rien gâcher, le danseur Frédéric Seguette reprend le tout dans un remix personnel, tiré vers l'absurde et le transversal. Enfin un making of prélève de belles tranches d'humanité troublée, dans le défilé d'avocat, de militaire, de prélat, de sportif, d'apiculteur, de mioches et de vieillards qui se sont prêtés au jeu.

Gérard Mayen - Danser / juillet-août 2011.